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Adoration de prestige vs Foi du quotidien : Quand la tabaski et le hajj révèlent les paradoxes religieux du Sénégal

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À l’approche de la Tabaski et du pèlerinage à La Mecque, deux événements religieux majeurs de l’islam, une effervescence particulière s’empare de la société sénégalaise. Les marchés s’emplissent de fidèles à la recherche du « meilleur » mouton ; les agences de voyage enregistrent des listes d’attente pour le Hajj, malgré son coût élevé. Ces pratiques, tout à fait légitimes et recommandées dans l’islam, semblent pourtant révéler un paradoxe profond dans le rapport à la religion : un engouement pour les actes d’adoration à forte valeur symbolique et sociale, mais un désintérêt croissant pour la pratique spirituelle ordinaire, discrète et constante, comme la fréquentation des mosquées ou l’engagement éthique au quotidien.
La foi ostentatoire : entre dévotion et distinction sociale
La Tabaski, comme le Hajj, est aujourd’hui chargée de significations multiples. Si elle reste une adoration centrale dans la religion musulmane, elle est aussi devenue un marqueur social fort. Posséder un gros mouton, faire un pèlerinage coûteux, organiser un sacrifice somptueux : ces actes sont souvent perçus comme des signes de réussite, de piété, voire de supériorité morale. Ils créent une sorte de compétition symbolique, où l’apparence de la foi peut parfois l’emporter sur son intériorité.
Le pèlerinage à La Mecque, par exemple, est fréquemment vécu comme un aboutissement social. Il offre prestige, reconnaissance, et parfois même un nouveau statut dans la communauté. Or, cet élan vers le « grand » acte cultuel contraste avec la désaffection visible des mosquées, souvent peu remplies hors des grandes fêtes ou prières du vendredi.
La religion comme capital symbolique
Ce phénomène peut être lu à travers la grille d’analyse de Pierre Bourdieu : la religion devient parfois un capital symbolique, utilisé pour affirmer son rang, masquer une précarité, ou s’imposer moralement dans un espace communautaire. Ainsi, même ceux qui peinent à joindre les deux bouts peuvent se saigner pour faire la Tabaski ou le Hajj, quitte à s’endetter lourdement. Ce choix, qui peut relever d’une foi sincère, est aussi souvent dicté par la pression sociale : « Que dira-t-on si je ne fais pas le sacrifice ? Si je n’envoie pas ma mère à La Mecque ? »
Une foi déséquilibrée ?
Ce déséquilibre entre les actes spectaculaires et les engagements ordinaires soulève une interrogation sociologique : vivons-nous une foi plus tournée vers le regard des autres que vers le regard de Dieu ? Car si l’islam valorise ces grands actes, il insiste tout autant, sinon plus, sur la constance de la prière, la justice, la sincérité, l’humilité, et le bon comportement envers autrui.
Dans ce sens, la survalorisation des actes visibles pourrait refléter une société de plus en plus marquée par l’apparence, l’ostentation et la compétition symbolique, au détriment d’une intériorité spirituelle plus discrète mais plus transformative.
Sortir de la foi spectacle : vers un rééquilibrage spirituel
Il ne s’agit pas de condamner ceux qui sacrifient ou partent à La Mecque — bien au contraire. Il s’agit d’appeler à une autocritique collective, pour que ces actes exceptionnels s’inscrivent dans une foi cohérente et vivante au quotidien. Fréquenter la mosquée, soutenir les nécessiteux, travailler avec intégrité, respecter l’autre : ce sont là aussi des formes d’adoration, souvent moins spectaculaires, mais tout aussi méritoires.
À l’heure où beaucoup se mobilisent pour « bien faire » la Tabaski ou partir pour le Hajj, posons-nous une question simple mais essentielle : à quand le même empressement pour remplir les mosquées, vivre la foi au quotidien et cultiver la piété discrète ?

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