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Salons de massage au Sénégal : entre quête de bien-être, survie économique et zones d’ombre

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Introduction
Depuis quelques années, on assiste à une multiplication des salons de massage, notamment à Dakar et dans les grandes villes du Sénégal. Ce phénomène, qui pourrait apparaître comme le signe d’une société en quête de bien-être, suscite néanmoins de vifs débats. Entre opportunité économique, marchandisation du corps et zones floues entre soin et sexualité, les salons de massage interrogent à la fois les normes sociales, les dynamiques économiques et les représentations collectives.
1. Une réponse à la crise de l’emploi : la survie par le service corporel
Dans un contexte de chômage chronique, en particulier chez les jeunes diplômés, le massage devient une activité accessible sans formation longue, parfois improvisée, souvent informelle. Beaucoup de jeunes femmes, mais aussi des hommes, se lancent dans cette activité pour subvenir à leurs besoins ou soutenir leur famille.
Le salon devient alors un espace de survie économique, avec un investissement minimal (matelas, huiles, local) et un rendement rapide.
2. Le corps comme capital : marchandisation et zones d’ambiguïté
Le massage implique un contact physique, parfois intime. Dans certains cas, la frontière entre massage thérapeutique, érotique et prostitution est floue. Certains salons proposent des prestations clairement sexuelles, sans que cela ne soit officiellement affiché. Cette ambiguïté entretient la suspicion sociale et alimente les jugements moraux.
Derrière le service de massage se cache parfois un commerce du corps, où le client paie non plus seulement pour un soin mais pour une expérience plus intime, dans un pays où la prostitution est pourtant encadrée et stigmatisée.
3. L’effet d’Instagram, de TikTok… et de Facebook : une vitrine séduisante et codée
Les réseaux sociaux jouent un rôle clé dans la publicisation des salons de massage. Beaucoup utilisent des codes visuels évocateurs (lumière tamisée, musique douce, poses suggestives) pour attirer une clientèle variée.
Si Instagram et TikTok servent souvent de vitrines esthétiques, Facebook est devenu un espace de diffusion directe, parfois très osée et suggestive, où les pages, profils et groupes proposent ouvertement des services sous couvert de « massage », avec des descriptions explicites, des photos suggestives et des échanges en message privé.
Ces plateformes facilitent la normalisation de pratiques autrefois marginales, mais exposent aussi les masseuses à la stigmatisation, au harcèlement ou à des attentes inappropriées.
4. L’affaire Sweet Beauté : un tournant socioculturel majeur
L’affaire Sweet Beauté, très médiatisée, a profondément marqué l’imaginaire collectif sénégalais. Elle a non seulement révélé au grand public l’existence de ces salons souvent discrets, mais elle a aussi contribué à leur banalisation.
Ce scandale a éveillé une curiosité sociale, nourrie par les détails rapportés dans les médias, et a suscité chez certains un désir d’imitation. Pour de nombreux jeunes, cette affaire a montré qu’un salon pouvait être une source de revenus et de visibilité, malgré (ou à cause de) la controverse.
Depuis lors, les salons de massage se sont multipliés, souvent avec les mêmes codes discrets, et une zone grise entre soins corporels et services sexuels. L’affaire a aussi contribué à la circulation du mot « massage » dans le langage courant, y compris dans des usages humoristiques, musicaux ou publicitaires.
5. L’absence de régulation : une zone grise entre droit et tolérance sociale
Le cadre juridique reste flou : aucun diplôme officiel n’est requis, aucune régulation stricte n’encadre l’ouverture des salons. Ce vide normatif favorise l’installation anarchique de ces structures, souvent en appartement, parfois dans des zones résidentielles.
Faute de contrôle, certains abus s’installent (exploitation, travail de nuit, clients violents, etc.) sans possibilité de recours pour les personnes concernées.
6. La société face à son image : tension entre morale publique et réalités sociales
La prolifération des salons de massage suscite des réactions contrastées. Certains y voient une dérive morale, une occidentalisation des mœurs, une banalisation du corps comme objet de consommation.
D’autres appellent à une lecture plus sociologique : comment condamner une pratique sans proposer d’alternatives viables à ceux qui la pratiquent pour survivre ?
Conclusion
Le phénomène des salons de massage est révélateur des contradictions d’une société en mutation : entre désir de bien-être, précarité économique, absence de régulation et évolutions des mœurs. Loin de tout jugement hâtif, il invite à penser la société sénégalaise dans sa complexité, à interroger ses normes, ses tabous, mais aussi ses manques en termes de politiques sociales et d’accompagnement des jeunes dans un monde où les repères classiques s’effritent.
Docteur Cheikh Tidiane MBAYE,
Sociologue
cheikhtidianembaye94@gmail.com
77 561 99 10

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