Hyacinthe Thiandoum, l’héritage lumineux d’un cardinal bâtisseur de paix
Il y a 21 ans, le 18 mai 2004, le Sénégal perdait l’une de ses figures les plus marquantes du siècle : le cardinal Hyacinthe Thiandoum. Plus qu’un prélat de l’Église catholique, il fut un repère moral, un artisan de la paix sociale et un passeur entre les croyances, incarnant la sagesse dans un pays en pleine mutation.
Né le 2 février 1921 à Popenguine, dans une famille de cultivateurs catholiques, Hyacinthe Thiandoum grandit dans l’amour de la foi et le respect du prochain. Ordonné prêtre en 1949, il entame une ascension discrète mais constante, portée par sa formation rigoureuse au petit séminaire de Ngasobil, puis à l’Université pontificale grégorienne de Rome. En 1962, en pleine effervescence postcoloniale, il devient le premier archevêque sénégalais de Dakar, succédant au Père Lefebvre. Un tournant historique.
En 1976, le pape Paul VI le nomme cardinal, reconnaissant ainsi non seulement la valeur d’un homme d’Église exemplaire, mais aussi l’importance croissante de l’Église africaine sur la scène mondiale. Discret, cultivé, d’une grande humanité, Hyacinthe Thiandoum imprime dès lors sa marque sur quatre décennies de vie nationale, bien au-delà des sacristies.
Un défenseur du dialogue et de la contextualisation de la foi
Conscient des défis d’une Église en terre africaine, il s’engage très tôt dans une réflexion sur l’inculturation du christianisme. Lors du synode africain de 1994 à Rome, il plaide avec conviction pour la reconnaissance d’un rite africain, adapté aux réalités du continent. Il milite également pour une meilleure place accordée aux femmes dans l’Église. Jamais provocateur, toujours mesuré, il savait faire entendre sa voix avec constance et intelligence.
Son leadership se double d’un sens aigu du dialogue interreligieux. Dans un Sénégal à majorité musulmane, Mgr Thiandoum noue des liens fraternels avec les chefs religieux musulmans, participe à des rencontres interconfessionnelles, et rappelle inlassablement que la paix nationale passe par le respect mutuel et la collaboration entre croyants. La minorité chrétienne, disait-il, ne peut s’épanouir sans dialogue sincère avec son environnement.
Une figure d’autorité dans la cité
Au fil des années, le cardinal Thiandoum devient une véritable conscience morale pour la nation. En 1962, lors de la crise politique opposant Senghor à Mamadou Dia, il tente une médiation délicate, soucieux de préserver la stabilité du jeune État. En 1968, alors que les émeutes étudiantes menacent de dégénérer, il protège les étudiants et s’oppose à l’expulsion de prêtres dominicains. Sa voix apaise, rassemble, invite à la raison.
Son autorité morale, saluée autant par les pouvoirs publics que par la population, confère à son rôle une dimension rare : celle d’un régulateur social dans une République laïque, mais où les religions jouent un rôle fondamental dans la cohésion nationale.
L’action au service du développement humain
Sous sa direction, l’Église sénégalaise renforce son ancrage dans le tissu social à travers des œuvres concrètes : écoles, dispensaires, centres de santé, actions sociales. Pour lui, la foi ne devait pas se limiter aux célébrations liturgiques, mais s’exprimer dans des actes concrets au service de tous, croyants ou non. En cela, il a contribué à faire de la communauté chrétienne un acteur majeur du développement national.
Un legs durable
Après 38 années à la tête de l’archidiocèse de Dakar, Mgr Thiandoum se retire en 2000. Quatre ans plus tard, le 18 mai 2004, il rend l’âme à Dakar. Il est inhumé dans sa ville, laissant derrière lui une Église enracinée, un héritage de paix et un modèle de service désintéressé.
Aujourd’hui, son nom évoque toujours la sagesse, la pondération et la fidélité à une mission : servir Dieu en servant les hommes. À l’heure où le Sénégal continue de rechercher les voies de la cohésion et du dialogue, la mémoire de Hyacinthe Thiandoum demeure une boussole précieuse pour tous les bâtisseurs de paix.
Imam chroniqueur Babacar Diop