Depuis l’accession au pouvoir des dirigeants issus de PASTEF, de nombreuses contradictions sont apparues entre leur discours d’hier et leurs pratiques d’aujourd’hui. Pourtant, une partie significative de leurs partisans semble continuer à défendre l’indéfendable. Cette attitude, loin d’être propre à ce camp, révèle des mécanismes collectifs que la sociologie peut éclairer.
1. Un phénomène humain, pas uniquement politique
L’aveuglement des partisans face aux incohérences de leurs leaders n’est ni nouveau, ni spécifique à PASTEF. Il s’agit d’un comportement humain récurrent, observé dans de nombreux contextes politiques, qu’il soit démocratique ou autoritaire. Ce phénomène tient à plusieurs dynamiques :
Biais de confirmation : les individus retiennent ce qui confirme leurs croyances et rejettent ce qui les contredit.
Dissonance cognitive : face à un écart entre les promesses et la réalité, on préfère se convaincre qu’il n’y a pas d’échec plutôt que d’admettre s’être trompé.
2. Quand la politique devient une croyance
La mobilisation autour de PASTEF, fortement teintée de discours de rupture, de morale et de patriotisme, a pris la forme d’un engagement émotionnel et identitaire. Beaucoup de citoyens ne soutenaient pas seulement un programme, mais se reconnaissaient dans un combat quasi-messianique. Cela engendre :
Une sacralisation du leadership.
Une aversion pour la critique interne.
Une lecture binaire de la société : le camp du peuple contre le camp du système.
Ces logiques rendent la remise en question extrêmement difficile, car elle reviendrait à remettre en cause sa propre dignité ou son espoir.
3. La peur du désenchantement et le besoin de cohérence
Admettre que les nouveaux dirigeants reproduisent certaines pratiques anciennes, voire en inaugurent de nouvelles, serait pour beaucoup un désaveu personnel. Ce désenchantement est vécu comme une blessure, que beaucoup préfèrent éviter en se réfugiant dans :
La minimisation (« ce n’est pas si grave »).
La comparaison (« les autres faisaient pire »).
La victimisation (« ils sont sabotés de l’intérieur » ou « ils ont hérité un Etat en ruine »).
Le déni pur et simple (« ce n’est pas vrai, c’est de l’intox »).
Ce phénomène s’aggrave dans un contexte de pauvreté où l’espérance politique devient une ressource psychologique vitale.
4. Une démocratie sans autocritique est une démocratie fragile
Ce comportement a des conséquences préoccupantes :
Il empêche le contrôle citoyen.
Il renforce la verticalité du pouvoir.
Il étouffe les voix critiques, même au sein du mouvement.
La démocratie a besoin de militants capables de soutenir sans idolâtrer, de croire sans se soumettre, de corriger sans trahir. Sans cette maturité, tout pouvoir – même né d’une dynamique populaire – peut dériver vers l’autoritarisme ou le cynisme.
5. Que faire ? Éduquer à l’esprit critique
La société sénégalaise gagnerait à :
Renforcer l’enseignement de l’éducation civique et politique fondée sur l’analyse critique.
Promouvoir des espaces de débat serein et argumenté.
Encourager les leaders à accueillir la critique comme un levier d’amélioration, non comme un complot.
Le rôle des intellectuels, enseignants, journalistes et penseurs est crucial. Il ne s’agit pas de dénoncer les militants, mais de comprendre les ressorts de leur posture pour ouvrir des brèches vers plus de lucidité et de responsabilité collective.
Conclusion
Le déni des partisans de PASTEF n’est pas une anomalie, mais une manifestation d’une culture politique encore trop immature, où l’engagement remplace la pensée, et où la loyauté prend parfois le pas sur la vérité. Le Sénégal, pour consolider sa démocratie, doit apprendre à concilier espoir et lucidité, fidélité et vigilance.
Docteur Cheikh Tidiane MBAYE,
Sociologue
cheikhtidianembaye94@gmail.com