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Débat sur la statue de Faidherbe, Qui doit honorer Faidherbe ?

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Qui doit honorer Faidherbe ?
Indifférence, c’est l’un des maîtres mots d’une contribution très fouillée de Babacar Gaye Fall dans la polémique sur le maintien ou non des symboles entretenus en hommage à certains personnages historiques de par le monde. Ceci faisant suite au brutal assassinat de George Floyd qui a attisé la rage du mouvement black Lives Matter ayant entraîné une bourrasque mondiale qui n’épargne aucune des grandes figures dont certaines de leurs statues sont déboulonnées et parfois jetées à la mer. Jusqu’au mythique Thomas Jefferson dont certains de ses propres arrières petits fils blancs et noirs (il aurait eu six enfants de Sally Hemming une de ses nombreux esclaves) ont rejoint le mouvement Black Lives Matter Comment envisager la désacralisation d’un personnage comme T. Jefferson, père fondateur, co-auteur de la constitution américaine dont l’un des principes les plus célèbres est celui selon lequel tous les hommes sont nés libres et égaux ? Paradoxe d’un homme réputé raciste et propriétaire de plus de six cent esclaves. A ce jour on refuse d’enterrer les descendants noirs de Jefferson dans le cimetière familial sis dans sa propriété de Monticello.
Dans cette petite note je voudrais secouer ma torpeur et mon indifférence dont je ne vais sortir que pour accuser réception (par courtoisie) de l’envoi que Babacar Gaye Fall a bien voulu me faire de sa contribution avant même que cela ne paraisse dans Sud Quotidien. Par respect pour mon ami je tiens à lui faire écho dans un débat où j’ai peu de place n’étant ni historien ni philosophe. Je voudrais juste apporter l’opinion et les sentiments d’un citoyen lambda sur une question qui touche à l’expérience d’un homme qui a modifié à tout jamais notre histoire en tant que peuple.
En effet, depuis mon Saloum Natal et de de mon Cayor d’accueil, très loin de la douceur de la place Faidherbe que surplombe la statue éponyme qui, semble- t-il, n’a même pas l’envergure qu’il faut, près du pont du même nom, à dire vrai je ne me suis jamais intéressé à la présence de ces symboles pourtant évidents d’un passé et d’un présent imposés, lourds et oppressants. C’est de cette indifférence dont parle B. G. Fall pour s’étonner qu’on remue tant de vagues aujourd’hui pour quelque chose qui n’a jamais dérangé personne et qui de toute façon n’influera en rien sur notre vécu quotidien. Pourquoi donc s’en faire ?
Plus haut j’ai évoqué mon éloignement de Saint louis parce que curieusement, rares sont ceux qui sont intervenus dans cette polémique, qui n’ont peu ou prou des attaches avec la ville de Saint louis comme si Faidherbe n’avait pour mission que de pacifier l’île et ses alentours et que sa statue qui est restée un peu comme le symbole d’un garant posthume des intérêts français dans le Sénégal post ou néo colonial ne concernait que les enfants de Saint Louis.
Faut-t-il déboulonner la statue, débaptiser la place et le pont qui portent le nom de Faidherbe ? Ce faisant ne risquerait on pas de nier ou même d’oublier des pans entiers et significatifs de notre histoire ?
Il y a trois choses indéniables :
 Faidherbe est un héros hors norme
 C’est un bâtisseur qui a laissé au Sénégal des choses impérissables
 Nulle écriture ou réécriture de notre histoire ne peut faire impasse sur Faidherbe
Ici B. G. Fall nous donne l’exemple de ce musée afro américain, cette plantation Witney en Louisiane, qui perpétuerait la mémoire de l’esclavage dans un esprit de pardon.
Pardon dites –vous ? Est-ce vraiment dans un esprit de pardon ? En tant qu’angliciste féru d’histoire et de civilisation américaines sans en être un spécialiste, je dois dire que je n’ai jamais rencontré ce terme dans le discours africain américain employé en rapport avec les fautes commises depuis le début de la traite transatlantique il y a plus de quatre cents ans. Louis Farrakhan, charismatique leader de Nation of Islam, utilise souvent le mot ‘’expiation’’ (atonement en anglais) qui a été le thème principal du Million Man March de 1995 qui était prévu pour réunir un million d’africains américains et qui en définitive en a réuni près de Deux millions (que des hommes). Le but était de réconcilier les africains américains entre eux et surtout sensibiliser les hommes sur leurs responsabilités envers les femmes noires et leurs familles.
Pardonner ? Les afro-descendants ont-ils besoin et même le droit de pardonner ? Est-il question pour les juifs et le reste de l’humanité de pardonner ce crime contre l’humanité qu’est l’holocauste ? Aujourd’hui les esprits sont façonnés de telle manière que nul ne songerait à proposer le pardon pour cette page sombre de notre histoire commune. Oui ! Notre histoire commune car le Coran nous enseigne qu’un crime perpétré sur un seul homme est un crime fait contre toute l’humanité. Pourquoi alors demander aux afro descendants de pardonner les crimes de la traite négrière ? N’a-t-elle donc pas le statut de crime contre l’humanité ? Cornel West, cet éminent professeur de philosophie à Harvard et activiste de la cause africaine américaine, a dit dans une interview exaltante qui a arraché une larme à Anderson Cooper, ce journaliste de CNN dont il était l’invité, que la communauté noire américaine est le seul groupe ethnique incapable de faire des revendications pour son seul bénéfice. Le mouvement des droits civiques des années 50 et 60 a produit des droits pour toutes les minorités présentes sur le sol américain. Personnage de la gauche libérale radicale américaine, fait-il référence au destin de la classe ouvrière qui, d’après l’idéologie marxiste, ne peut se libérer qu’en libérant le reste de l’humanité ? Mais de là à leur demander de pardonner un crime qui à ce jour a des effets rédhibitoires dans leur communauté c’est pousser le bouchon trop loin. Et si la question devait être posée, il faudrait d’abord que le système américain fondé sur la suprématie blanche reconnaisse le tort et cesse de se réfugier dans le décalage temporel (l’argument selon lequel il ne survit plus un seul esclave et un seul esclavagiste). Si jamais il eut été possible d’envisager le pardon dans le cas d’espèce, la suprématie blanche a raté plusieurs fois l’occasion d’expier ses fautes et crimes : la promesse de donner quarante arpents de terre et un mulet à chaque esclave fraichement libéré en guise de réparation pour leur permettre un nouveau départ n’a jamais été tenu ; Le programme de reconstruction qui devait accompagner la communauté noire au lendemain de la guerre de sécession et de l’abolition a été brutalement interrompue suivi par les lois Jim Crow ; le sabotage des entreprises noires allant jusqu’au massacre et la destruction de ce ce qui était connu comme la Wall Street noire à Tulsa ; la discrimination, la ségrégation, les lynchages, le confinement dans les ghettos que jusqu’ici le housing act signé par le président Lyndon Ben Johnson en 1968 n’a réussi à combattre ; les écoles de bas étages, mal financées, synonymes de déni du droit à l’éducation ; le racisme institutionnel et systémique ; la brutalité policière dont l’exemple le plus achevé nous a été donné de voir avec le meurtre de sang froid de George Floyd ; le refus de débattre sérieusement de la question des réparations même dans certains milieux de gauche ; La liste ne saurait être exhaustive dans une si modeste contribution. Expiation et réparations, voilà les enjeux !
A mon avis l’ouverture et l’entretien de ce musée de l’esclavage dans cette plantation de Louisiane ne sont pas motivés par un esprit de pardon mais plutôt par le refus de l’oubli. Je n’ai jamais visité Baltimore, mais un ami qui y a séjourné me parle d’un autre musée de l’esclavage où même les odeurs fétides des cales des négriers sont reproduites, tout cela par devoir de mémoire. Car, si le pardon est la chose la plus noble qui soit même si nul n’y est contraint (encore un enseignement du Coran), l’oubli est dangereux voire criminel car exposant au risque d’une répétition monstrueuse de l’histoire.
Pour en revenir à nos place, pont, rue et statue, plutôt que hommage, pardon et reconnaissance, les maitres mots devraient être expiation et réparations. S’il y a une partie qui devrait reconnaissance, c’est bien la France qui doit son statut de puissance majeure à sa posture de prédatrice sans vergogne et sans frein du sang et des ressources de ce qui est dit être son pré-carré africain.
Faidherbe bâtisseur du Sénégal, la belle affaire ! Construire des routes, un chemin de fer, des ponts, des ports et des villes côtières pour drainer la gomme arabique, l’arachide, le sel, le titanium et le zirconium dont les premières réserves ont été épuisées par l’exploitation coloniale sur les berges du Sine et du Saloum; tout cela vers une métropole enrichie et engraissée grâce aux ressources des colonies d’Afriques ; bâtir des écoles pour former des auxiliaires au service de l’exploitation coloniale ; des hôpitaux pour soigner et entretenir une main d’œuvre payée au strict minimum vital, et en plus éduquée dans un esprit d’assimilation et d’aliénation culturelle dont le but était de renforcer la domination car les liens de l’esprit sont encore plus forts que les chaînes aux pieds. Alors témoigner une reconnaissance éternelle pour cela ? ‘’A Faidherbe le Sénégal reconnaissant’’. C’est pour nous comme d’accorder une prime au voleur qu’on a pris chez nous, la main dans le sac, entrain de chaparder nos biens..
Faidherbe partie intégrante de notre histoire ? Indubitablement ! Majoritairement, pour ne pas dire exclusivement pour les mauvaises raisons. Inutile de revenir sur la litanie de crimes, d’assassinats, de villages mis à sac et réduits en cendre, spoliations et exploitation éhontée de nos ressources avec presque sans aucune retombée… Même les anti- déboulonnement, la plupart des gens liés à la ville tricentenaire et nostalgiques peut être d’une certaine atmosphère et d’un art de vivre singulier n’ont pas manqué de rappeler ce que cet Attila des temps modernes a apporté comme malheurs et destruction à notre pays ravalé au rang de territoire conquis. Déboulonner sa statue et rebaptiser les monuments et rues qui portent son nom n’y enlèvera rien. Au plus, la statue pourrait avoir sa place dans un musée quelconque. Il ne faut pas négliger la force de la tradition orale. Je ne pense pas que le temps réussira à ôter de notre mémoire collective ce fantôme de notre passé surtout dans les terroirs du Cayor, du Fouta et du Wallo, du Diambour et du Sine…
Faidherbe mérite-t-il d’être honoré ? Sans conteste. Héros de je ne sais quelle guerre contre la Prusse avant même son expérience coloniale, Faidherbe mérite reconnaissance de la France entre autres pour lui avoir donné Saint Louis et son arrière-pays. La belle Saint Louis dont mon ami B. G. Fall a fait une si admirable description. Je ne sais pas si Faidherbe repose aujourd’hui au Panthéon ou pas, mais il l’aurait largement mérité.
La place Trafalgar au beau milieu de laquelle plastronne dans sa statue de bronze l’amiral Nelson vainqueur de Napoléon dans la bataille navale éponyme ne se trouve pas à Paris mais à Londres. Que chacun honore ses héros.
Pape Alioune Cissé
Conseiller pédagogique à la retraite
Traducteur Interprète

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